La langue allemande permet un jeu de mot amusant; “poésie”, ça veut dire “Dichtung”, mais les mots “Dichtung” ou “dicht” ont encore d'autres significations. Une “Dichtung”, c’est aussi un “join” pour le robinet, qui n’est plus “hermétique”, par exemple. Mais aussi une foule de gens peut être “dicht”, c'est-à-dire “dense”, ainsi que la brume, qui, en français, est "épaisse". Et la queue qui se forme devant un centre de vaccination, elle est aussi “dicht”, en français on dirait “serrée”. Mais il y a encore une signification un peu insolente de "dicht": Dire qu'une personne n'est pas tout-à-fait "dicht" veut dire qu'elle est un peu dingue...
Mais le mot allemand “Dichtung” (difficile à prononcer en français) exprime aussi très bien la qualité essentielle du genre littéraire “poésie”. Car la poésie est “dicht” en ce qui concerne leur structure, c'est-à-dire, qu’en écrivant de la poésie, on est tenu de se discipliner. En utilisant moins de mots que, par exemple pour une nouvelle, on est obligé d’exprimer le contenu de ce qu’on veut dire d’une manière concentrée.
C’est-à-dire une forme de minimalisme qui, comme tout, est soumis à la mode, mais qui, comme genre littéraire, reste intemporel.
François Villon décrit, dans le français typique de son temps, rustique et éloquent, les joies et les souffrances des hommes et des femmes de toujours. Charles Baudelaire - j’aime ses “Fleurs du Mal” depuis ma jeunesse - , et je me suis permis de traduire son sonnet “Les chats” en allemand. Federico Garcia Lorca, le poète et dramaturge andalous, que les sbires du régime Franco ont assassiné, il a évoqué avec ses œuvres le démon de la créativité, “el duende”. Ses poèmes sont des chansons qui s’envolent par la fenêtre tout doucement quand on a oublié de fermer… Else Lasker-Schüler, la poétesse juive allemande mélancolique, qui semble avoir prévu la catastrophe à venir pour les juifs et pour toute l’Europe...
Heinrich Heine, Paul Verlaine, Bertolt Brecht, Pablo Neruda, Ulla Hahn, Johannes Kühn, Sarah Kirsch - ce sont seulement quelques noms de poètes que j’estime beaucoup. Mais il y en a une que je vénère: Sappho (on trouvera assez d’informations sur cette grande poétesse grecque sur Wikipedia). Hélas, pas beaucoup de son œuvre n’a survécu, mais pour moi, c’est surtout la “strophe saphique" qui me fascine.
La "Hymne à Aphrodite" de Sappho ist un des rares textes qui existent encore d'elle. Malheureusement, dans cette traduction française que j'ai trouvé dans l'internet, le rhythme de la strophe saphique n'a pas pu être gardé.
Toi dont le trône étincelle, ô immortelle
Aphrodite, fille de Zeus, ourdisseuse de
trames, je t'implore : ne laisse pas, ô
souveraine, dégoûts ou chagrins affliger
mon âme,
Mais viens ici, si jamais autrefois
entendant de loin ma voix, tu m'as
écoutée, quand, quittant la demeure
dorée de ton père tu venais, Après avoir
attelé ton char,
de beaux passereaux rapides
t'entraînaient autour de la terre
sombre,secouant leurs ailes serrées et du
haut du ciel tirant droit à travers l'éther.
Vite ils étaient là. Et toi, bienheureuse,
éclairant d'un sourire ton immortel visage,
tu demandais, quelle était cette nouvelle
souffrance, pourquoi de nouveau j'avais
crié vers toi,
Quel désir ardent travaillait mon cœur
insensé : « Quelle est donc celle que, de
nouveau, tu supplies la Persuasive
d'amener vers ton amour? qui, ma
Sappho, t'a fait injure ?
Parle : si elle te fuit, bientôt elle courra
après toi ; si elle refuse tes présents, elle
t'en offrira elle-même ; si elle ne t'aime
pas, elle t'aimera bientôt, qu'elle le veuille
ou non. »
Cette fois encore, viens à moi, délivre moi
de mes âpres soucis, tout ce que désire
mon âme exauce-le, et sois toi-même mon
soutien dans le combat.